Fin 1977, la France comptait 353 « grands barrages », c’est-à-dire 353 ouvrages mesurant plus de 15 m de haut au-dessus de leur fondation la plus basse. Ces ouvrages, ainsi que certains barrages de taille plus réduite, font peser sur la population située à l’aval un risque, certes très faible, mais qu’il serait aussi regrettable de négliger totalement que de surestimer. Bien qu’il soit toujours délicat, notamment au plan psychologique, d’apprécier les risques de très faible probabilité mais de grande ampleur, il est néanmoins préférable de cerner le plus possible le problème plutôt que de prendre des décisions regrettables sur des bases
éventuellement grossièrement inexactes(2). Tel est l’objectif recherché dans cette note. La quasi totalité des pays du monde possédant des barrages importants sont regroupés dans la « Commission Internationale des Grands Barrages » qui a rassemblé dans
un « Registre Mondial » la quasi intégralité des grands barrages exislanls dans le monde, Chine exdue(3).
Par ailleurs, la Commission a procédé en 1965 à un recensement aussi exhaustif que possible des incidents ou accidents (et donc des ruptures) ayant affecté les grands barrages, recensement ayant porté sur 96 % des barrages existant dans le monde (Chine exclue) à l’époque.
Qu’est-ce qu’un barrage?
Dans l’esprit des Français un barrage est généralement un ouvrage en béton -encore que beaucoup connaissent Serre Ponçon- qui barre une vallée de montagne et permet de produire de l’électricité. Cette vision, qui n’est pas inexacte en ce qui concerne notre pays est tout à fait erronée au niveau mondial. En fait, les barrages -et les premiers existaient voici 5 000 ans- étaient, à l’origine destinés aux besoins agricoles (ou à l’alimentation en eau des populations) puis, à une époque beaucoup plus récente, sont apparus
les barrages associés aux canaux de navigation (pour alimenter les biefs de partage, par exemple) ou à différentes activités industrielles (barrages britanniques du XIXe siècle), ensuite à la production d’électricité et, enfin, aux loisirs. Les barrages écrêteurs de crue, qui se multiplient à notre époque (amélioration de la protection des agglomérations) semblent avoir existé dès
les premiers siècles de notre ère. C’est ainsi qu’au début de ce siècle, la moitié des
barrages mondiaux(6) étaient situés au Japon, où le plus ancien ouvrage a près d’un millénaire; les barrages japonais étaient tous construits en terre et étaient indispensables à la culture du riz. La Grande Bretagne pour sa part, en abritait près du quart, presque tous en terre également.
Sur 805 barrages antérieurs à 1900, plus de 700 étaient des barrages en terre ou en enrochements,
encore que les Romains puis les Arabes, aient réalisé un certain nombre d’ouvrages en maçonnerie(7). Encore aujourd’hui, la grande majorité des barrages sont des ouvrages constitués par des remblais (terre ou enrochement).
emps. Les accidents les plus catastrophiques dont j’ai trouvé mention sont les suivants: Macchu 2 (Inde) rompu en août 1979 par submersion 26 m au-dessus de la fondation – 100 hm3 – plusieurs milliers de morts. South Fork River (Pennsylvanie – USA) rompu vers 3 hie 31/5/1889 21,9 m au-dessus de la fondation la plus basse 18,5 hm3 de capacité barrage en terre emporté par une crue 2000 à 4000 morts selon les auteurs. Iruka (Japon) – rompu en 1868 – 1 200 morts. Saint Francis (Californie – USA) rompu à minuit le 12/3/1928 47 hm3 barrage-poids en béton 400 à 2 000 morts selon les auteurs. Oros (Brésil) – rompu en 1960 – 1 000 morts. Puentes (Espagne) rompu le 30/4/1802 50 m au-dessus du sol barrage-poids 608 morts. Malpasset (France) rompu le 2/12/1959 à 21 h 66,5 m de haut voûte 421 morts. Austin (USA) rompu le 11/9/1911 14 m de haut 0,75 hm3 barrage-poids 80 à plus de 700 morts selon les sources. Vega de Terra (Espagne) rompu en 1959 34 m de haut 8 hm3 barrage à contreforts 144 à près de 400 morts selon les sources. Quebrada La Chapa (Colombie) (p.m. : barrage naturel) – rompu en 1963 250 morts. Hyokiri (Corée) – rompu en 1961 – 250 morts. Dale Dyke (G.B.) – rompu en 1864 – 250 morts. Canyon Lake (USA – Dakota du Sud) – rompu en juin 1972 (à la suite de fortes pluies) – 230 morts. Sempor (Indonésie) rompu en décembre 1967 (en cours de chantier) – barrage en enrochement – 200 morts. Gleno (Italie) rompu le 1/12/1923 15 m au-dessus du sol (22 au-dessus des fondations) barrage à contreforts plus de 100 à 600 morts selon les sources. Buffalo Creeck (USA – Virginie occidentale) — rompu en février 1972 suite à fortes pluies – (retenue d’eau usée) – 125 morts. Bouzey (France) rompu le 27/4/1895 15 m au-dessus du sol (22 au-dessus des fondations) barrage-poids 86 à plus de 100 morts selon les sources. Babü Var (URSS) (p.m. : barrage vraisemblablement < 15 m) -:- rompu en 1961 – 145 morts. Nanaksagar (Inde) rompu de 7/9/1967 15,6 m de haut barrage en terre 100 morts.
Santo Thomas (philippines)
rompu en 1976 (crue sur le chantier)
Signes précurseurs des ruptures Nous venons de voir le rôle fondamental que peut jouer l’alerte pour réduire les pertes en vies humaines. Il est donc important de savoir si un barrage « prévient » de sa rupture. Dans de nombreux cas, personne ne se trouvait sur
les lieux dans les heures qui ont précédé la rupture (ou,ce qui revient au même, les témoins sont morts dans l’accident) et l’on ne connaît pas, ou mal, l’enchaînement des circonstances qui ont conduit à la catastrophe.
Nous examinerons ~uccessivement les 3 grandes catégories de rupture (1 ere mise en eau, submersion, rupture en cours d’exploitation) sachant que les ruptures en cours de travaux ne causent généralement que peu de morts (en dépit des 2 exemples malheureux de Sempor et de Santo Thomas).
1) Première mise en eau : à condition de procéder à un remplissage progressif et de suivre attentivement l’évolution du barrage, de ses appuis et des fondations, on devrait vraisemblablement constater, au moins quelques heures à l’avance, l’approche d’une éventuelle rupture. Quelques cas célèbres permettent de le penser: pour le barrage du Puentes, en 1802, un messager court avertir la population mais est rattrapé par les flots, au barrage de St-Francis (1928) les fuites augmentent fortement pendant l’après-midi (destruction à minuit) et notamment le barrage se vide de 10 cm dans la 1/2 heure précédant la rupture, pour Malpasset (1959) l’on n’avait pas su interpréter, à l’époque, les signes avertisseurs, mais ceux-ci ont manifestement existé (de plus le remplissage a été rapide), au barrage de Teton (1976) les ouvriers présents ont constaté le début de la destruction et ont eu le temps de donner l’alerte.
2) Submersion: le signal d’alerte est essentiellement constitué par la pluie ; dans les bassins importants la montée de la crue est suffisamment lente pour que l’alerte soit donnée en temps utile ; pour les barrages contrôlant de petits bassins versants (de l’ordre de la centaine de kilomètres carrés) et qui souvent ne sont pas gardiennés, l’alerte sera d’autant plus difficile à organiser que la crue peut être consécutive à un orage relativement localisé au bassin de la retenue et sur lequel l’attention
n’est pas immédiatement attirée. Dans ce cas, et surtout s’il s’agit d’ouvrage en remblai, les ouvrages d’évacuation doivent être dimensionnés d’une façon particulièrement prudente et ne pas comporter d’organes mobiles (à moins que ceux-ci ne soient
automatiquement asservis au niveau amont). Il est toutefois à noter que même les ouvrages en remblai supportent souvent des déversements importants avant de se rompre: à South Fork River (en 1889 aux U.S.A.) le barrage déverse plusieurs heures avant de se
rompre en 1/2 heure; à Euclides de Cunha (en 1977 au Brésil) un barrage homogène en terre déverse 7 h avant de se rompre, la lame déversante atteignant au moins 1,26 m.
3) Rupture en service: on connaît quelques rares cas, parmi les incidents n’ayant pas donné lieu à rupture, où les phénomènes dangereux se sont manifestés pratiquement instantanément (glissement du talus aval d’un barrage en terre aux U.S.A., éboulement rocheux à l’aval d’un barrage en Autriche). Toutefois, dans de nombreux cas des signes précurseurs se sont manifestés. Ils se manifesteraient aujourd’hui, compte tenu du développement des moyens de contrôle et de surveillance, dans la très grande généralité des cas. On peut par exemple citer les cas des ruptures suivantes:
Baldwin Hills (1963 – U.S.A.) rompu à la suite de
mouvements de terrains qui se sont étendus sur plusieurs années;
Greenlick (1904 – U.S.A.) rompu à la suite d’une fuite importante qui avait constamment augmenté pendant ses 3 années de vie
Julesburg (1910 – U.S.A.) idem;
Sinker Creek (1943 — U.S.A.), fuite importante et saturation progressive du talus aval;
La Laguna (1969 – Mexique) rompu à la suite d’un lent mouvement du sous-sol
Walter Bouldin (1967 U.S.A.) rompu à la suite d’un glissement progressif du talus amont.
Conclusion
Cette étude permet d’affirmer qu’en moyenne un barrage est un ouvrage très sûr qui ne fait pas courir de risque déraisonnable à la population, même dans les pays qui attribuent un prix élevé à la vie humaine. Il y a lieu en particulier de noter les progrès sensibles constatés depuis une cinquantaine d’années. Mais il ne faudrait pas en tirer une fausse impression de sécurité et oublier que ce résultat n’a été atteint que grâce aux grandes précautions prises à tous les stades : conception, réalisation et exploitation.
Des progrès peuvent certainement encore être obtenus ; il convient donc de poursuivre les efforts actuels et de ne pas relâcher l’attention apportée tant à la construction qu’à l’exploitation des barrages
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